La nourriture occupe une place centrale dans nos vies. Le palais, comme tout, s’éduque jusqu’à identifier les subtilités permettant de sentir le degré de soin et d’attention apporté à une recette. Chaque journée commence souvent par « qu’allons-nous manger aujourd’hui ? » et nos diverses errances gravitent autour de points fixes : la bonne adresse dégotée au fil des recherches Internet. La définition de « bien manger » varie selon les individus. Cela peut être un luxe, comme une simple question de choix avisés. Au Japon, on trouve de nombreux établissements bon marché aux ingrédients d’une très grande qualité. Antoine a un vrai talent pour trouver des lieux uniques en leur genre. S’il y a un endroit au monde où nous voulons faire un restaurant gastronomique, c’est bien ici. Grand écart avec des semaines passées à cuisiner tant bien que mal au-dessus du feu de camp, en plein désert. Mais c’est la même dynamique : le repas se pense et se prépare en vue d’un moment partagé ensemble. Le restaurant n’est pas pour nous une question de « manger à l’extérieur », c’est une occasion que l’on créé. Cet espace physique et mental me paraît très similaire aux déplacements en voiture. Côte à côte ou face à face, certaines discussions y ont lieu comme nulle part ailleurs. Des expériences gustatives restent gravées, associées à des moments bien précis dans la mémoire. Cette conception-là du restaurant, elle me vient de ma grand-mère paternelle. Appréhension de la vie aux antipodes de ma grand-mère maternelle, sans aucun doute. Il y avait d’un côté « Il faut profiter au maximum, tout passe trop vite » et de l’autre « Il faut faire attention, être vigilant, au cas où ». Nous sommes parfois le méli-mélo d’univers sensibles et sociaux aux points cardinaux opposés. Grand-maman, comme elle voulait qu’on l’appelle – une certaine crainte du mot mamie – avait un amour profond des bons moments dans de beaux endroits. Un soir, en Espagne, alors que nous étions toutes les deux à Grenade, elle m’a dit cette phrase que je n’ai jamais oublié « Tu verras, ce dîner, toi et moi, on va s’en souvenir, parce qu’on a réuni toutes les conditions pour. » Et de fait, quinze ans plus tard, la scène est encore bien nette dans mon esprit, la discussion importante que nous avons eu dans cette salle, dont je peux encore décrire la voûte en pierre brute, les tables carrées rehaussées de nappes moirées, les sièges noirs un peu stricts. Et elle, son nez aquilin penché dans son assiette, aspergée de son parfum aux notes orientales, qui me parlait de l’importance des dates symboliques. Ce voyage est aussi pour Antoine et moi un travail de la mémoire : vivre et se souvenir.
2 commentaires
très beau texte, et belles<photos!! merci de nous faire voyager 🙂
Merci 🙂