Nous nous déchaussons, bien évidemment, et plaçons nos chaussures en direction de la porte – signe que nous n’allons pas nous imposer. Madame Kazuki nous guide dans sa grande maison ancienne, au parquet de bois impeccablement ciré. La salle de bain et les toilettes sont partagées avec elle. Nous dormirons dans une chambre traditionnelle. On fait glisser la porte le long d’un rail, derrière lequel se trouve un tatami. C’est si agréable de poser nos pieds nus sur le sol à la fois ferme et souple. Le Japonais est une langue surprenante de détails : chaque cloison a un nom spécifique. Le fusuma est cette paroi coulissante opaque, qui marque une délimitation entre notre chambre et un petit salon muni d’une table basse et de coussins vert olive. Les shôjis sont ces trames en bois couvertes de papier, qui entourent le reste de l’espace. Ces séparations peuvent être bougées pour redessiner les pièces. Au sol, deux futons. Rien d’autre. L’élégance dans le dépouillement et la simplicité. Nous cachons vite nos gros sacs à dos dans un placard, de peur que nos bagages ne rompent l’harmonie des lieux. Nous voici bel et bien installés à Shikoku, la plus petite des îles principales du Japon, principalement connue pour son pèlerinage des quatre-vingt huit temples. L’un d’entre eux se trouve d’ailleurs dans la montagne qui nous surplombe.
Vivre chez Madame Kazuki donne l’impression d’arriver chez une grand-mère bienveillante. La moquette beige est usée par les années, mais frottée chaque jour avec énergie. Aucune trace de poussière sur les étagères. Les piles de serviettes sont parfaitement pliées et sentent bon la lessive parfumée. Dans le salon, sur le tapis, dort un minuscule Chihuahua.
— Le chien a une centaine d’années, nous annonce la voix hachée du petit appareil.
Madame Kazuki glousse tout en couvant l’animal miniature d’un regard chargé de tendresse.
— Il ne fait que dormir. Trop vieux.
Puis elle disparaît dans l’un des corridors de la grande maison en bois. On entend régulièrement ses pantoufles claquer sur le parquet. Ici, comme dans de nombreuses demeures japonaises, il y a différents types de chaussons selon les pièces – une paire pour le salon, une autre pour la chambre, une autre encore pour la salle de bain. Antoine et moi redoublons d’efforts pour bien faire selon les codes. Il faut nous voir, les mains derrière le dos, si précautionneux et attentifs. Un mauvais geste, et l’un des somptueux vases anciens pourrait se retrouver par terre ! Madame Kazuki réapparait avec un plateau garni de délicates tasses de thé. Nous la remercions plusieurs fois et savourons ces boissons chaudes après notre matinée passée dans le train pour atteindre Shikoku.