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Samantha et Antoine

22 septembre 2019

4 commentaires

Boston

Nous quittons Montréal à la gare routière, pour prendre un bus direction Boston ! Le Canada, c’est terminé, direction les Etats-Unis pour cinq semaines qui s’annoncent très variées. Désormais, nous avons appris à nous organiser en un temps record, entre nos deux sacs à dos et le matériel. Chacun sait qui prend quoi, où quoi se range : nous avons tissé des habitudes, ajusté des choses, avec nos maisons portatives. Il faudra compter minimum sept heures de trajet : après quelques provisions, c’est parti pour le départ ! Notre heure d’arrivée dépend des contrôles à la frontière. Nous tendons nos passeports, remplissons un formulaire, répondons à nos questions. Ça nous fait sourire, parce que les gens qui passent tour à tour devant les douaniers racontent réellement toute leur vie : je vais voir ma grand-mère à Boston, oui elle est malade, après je vais Miami voir mon meilleur pote, dans mon sac j’ai une cannette de bière etc.

La loi de Murphy

Bientôt, les panneaux en français passent en anglais. Le trajet se déroule dans un jeu d’ombre et de lumière entre les villes et l’autoroute. Pause de 15min pour manger sur une aire : il y a la queue partout, pas de chance, ce ne sera pas assez de temps pour réussir à obtenir son repas ! Nous ignorions alors que ce premier échec était annonciateur d’une longue série durant ce séjour.

 

Nous chargeons nos sacs sur nos dos pour atteindre l’auberge de jeunesse que nous avons choisie – prix très abordables, proximité avec la gare ! C’est assez curieux de passer de deux semaines dans des endroits reculés et silencieux à un dortoir bruyant : portes de casiers qui claquent, rires dans les couloirs, jet de la douche, chasses d’eau. Ça me rappelle l’ambiance de l’internat, quand j’étais au lycée, cette promiscuité avec des personnes qu’on ne connaît pas, cette atmosphère bonne enfant. C’est familier. Nous nous faufilons dans le noir pour ne pas réveiller nos coturnes, tâtonnons pour trouver les couvertures et draps sur les lits superposés. La nuit nous appelle.

 

Le lendemain matin, à la lumière du jour, nous défaisons nos sacs… et réalisons qu’il manque l’une de nos pochettes importantes de matériel photo. Vent de panique ! Vous savez, quand vous cherchez quelque chose qui manque, et que vous avez le doute permanent : est-ce que je l’ai bien mis à l’endroit habituel ? Qu’est-ce qui aurait pu se produire ? Pourquoi ce n’est pas là ? Nous retournons toutes nos affaires, en vain. La pochette a disparu. Dans ces cas-là, une solution : remonter soigneusement le fil des événements. La pochette était dans son sac dédié, qui était lui-même à nos pieds. À un moment, une personne s’est installée à notre place quand nous avons pris une pause. Elle s’est excusée en disant ne pas trouver de place et est partie. J’ai eu ce léger doute : vérifier les sacs ? Et je me suis dit mais non, ça ne risque rien. Cela aurait pu tout aussi bien tomber : un mauvais virage, nous tout ensommeillés, la pochette qui glisse sous les sièges…

Bref. Cette pochette est très importante pour Antoine : elle contient les câbles pour son appareil photo. Il n’imaginait pas que de se retrouver avec une faille dans son matériel de narration le contrarierait autant. Et pourtant, c’est le cas. On se dit, ce n’est pas grave, on essaye de ne pas y penser, de se distraite, mais ça reste. Parce que cet appareil photo est aussi un fil conducteur, l’attrape-lumière toujours autour de son cou. Raconter fait partie intégrante de ce parcours.

Freedom Trail

Le premier matin à Boston, c’est retour à la case départ : gare routière, pour la quête désespérée de la pochette. Quête qui se soldera par un échec : on nous répond que le bus a été nettoyé, et que rien n’a été retrouvé. Pour nous changer les idées, nous décidons de faire du tourisme et de profiter des conseils que Charlotte Faraday nous a donné par message privé sur Instagram – au passage, allez voir son compte, c’est magnifique ! Nous cherchons la ligne rouge en briques qui permet de retracer l’histoire de l’indépendance Etats-Unis : la Freedom Trail. Dans le Boston Common, le plus ancien jardin public de la ville, des écureuils gloutons courent entre les arbres, poursuivis de temps à autre par un chien. Derrière le chien, on voit toujours le maître qui hurle « No ! Stop ! ». Il y a beaucoup de chiens à Boston. On adore les observer avec Antoine, avec une certaine envie : vivre en appartement ne nous permet pas d’en avoir un, mais à la minute où nous aurons un jardin, Hélios et Moon auront un compagnon canin. Naïma Zimmermann, une autrice jeunesse, m’a déjà convaincue à un salon littéraire sur LE CHIEN IDÉAL. Nous avons parfois des phases avec Antoine où nous allons sur le site de la SPA pour regarder les petites annonces… pour refermer très vite les onglets de peur de finir par débarquer en adopter un. Prendre un animal est un choix long et réfléchi. Son bien-être avant tout.

Histoire

Nous serpentons donc dans la ville au fil des monuments ayant marqué l’histoire des Etats-Unis : Massachusetts State House, Park Street Church, King’s Chapel, Old Corner Book Store, le site du Massacre de Boston, jusqu’au Bunker Hill Monument. Curieux, nous lisons les plaques et suivons le plan donné par une représentante de la ville. Antoine a toujours eu une grande appétence pour la géopolitique : une journée ne commence jamais sans lire la presse internationale. Être à deux, grandir à deux, c’est aussi s’influencer mutuellement dans ses intérêts et ses habitudes. Du coup, à travers lui, je m’y intéresse aussi, en pointillé. Au milieu de toutes les frises chronologiques de ces musées, les cours d’histoire de terminale me reviennent. C’est terrible, la mémoire photographique : je revois encore les plans I) 1) sur les Etats-Unis, avec le titre encadré en rouge « Les Etats-Unis et le monde depuis 1945 ». Monsieur Beaudé, notre prof, nous avait longuement parlé du melting pot, métaphore pour désigner une société universelle, un creuset où se mêleraient toutes les cultures de notre planète. De fait, l’histoire des Etats-Unis et de sa prise d’indépendance inspire des sentiments contrastés, entre admiration de la construction de cette forme d’utopie, et horreur de toute la violence engendrée. L’expression de l’âme humaine, sans aucun doute. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Cette promenade au gré de l’histoire régale : nous découvrons bien des événements marquants dont nous avions finalement peu entendu parler. Cette nourriture intellectuelle fait un bien fou.

One time, never give it up

La quête désespérée de la pochette continue : sans recharge, pas d’appareil photo. C’est un problème que nous voulons régler. Antoine et moi parcourons toutes les boutiques de Boston à la recherche d’un chargeur pour son Olympus. À chaque fois, personne ne l’a en stock. Nous passons des coups de téléphone, nous rendons d’un point à l’autre, et allons de déception en déception. N’ayant pas de boîte postale fixe, nous sommes face à une première difficulté de cette vie itinérante, lorsque nous avons vraiment besoin de quelque chose. Pas le choix, il faudra attendre New York pour avoir de nouveau un appareil photo fonctionnel. Le soir, fatigués de notre grand tour dans la ville, nous nous couchons très tôt.

 

Pour ce dernier jour à Boston, la loi de Murphy se poursuit : je tombe malade. Ça donne envie d’écouter la chanson d’Angèle : ah ben non, les écouteurs étaient dans la pochette égarée. C’est parti pour une migraine comme j’en ai rarement eue dans ma vie.

 

One time, never give it up
Two times, for all the love I got
Three for you, where are you?

 

Là, toute personne qui est en voyage avec quelqu’un sait ce qu’est ce moment où chacun est dans un état aux antipodes : l’un au fond du trou, l’autre en pleine forme. C’est l’apanage de toute cohabitation : trouver un équilibre entre le vivre ensemble et ses propres besoins.  Il fallait que ça arrive, dans cet itinéraire : un moment où l’un ou l’autre est malade et pas en état de vivre « à fond ». Voyager, ce n’est pas que l’excitation de la découverte et un sentiment de liberté, c’est aussi une charge mentale constante : aller d’un point à l’autre, vérifier sans cesse l’itinéraire, les billets, les informations, et trouver un équilibre entre l’envie de découverte et ses propres besoins.

Antoine continue d’explorer la ville pendant que j’essaye de calmer ce mal de crâne roulée dans mon lit superposé. D’autres contrariétés arrivent, comme si les mauvaises nouvelles s’étaient mises d’accord pour entrer dans ma boîte mails en même temps. Entre autres, un contrat qui n’est en fait pas conforme à l’attendu. Voilà que le terme de « parenthèse » s’écroule, les deux arc de cercle s’effritent. Il suffit d’un seul grain de sable dans les rouages d’un an de préparation de ce voyage pour que l’édifice tremble. Je vous en parlais dans un précédent article : la vie d’incertitude des métiers créatifs. Vous avez beau vous organiser, tout prévoir, tenir un calendrier, s’il y a la moindre erreur de l’autre côté, c’est fichu. Cette prétendue liberté est une forme de leurre. Elle peut être physique, en effet, par exemple, il est possible d’écrire n’importe où dans le monde, mais comme n’importe quel travailleur, vous dépendez de vos partenaires professionnels. Enfle un profond sentiment d’injustice : c’est si épuisant de travailler autant, tout le temps, depuis 10 ans, et quand enfin se pointe le moment d’une respiration, de quelque chose d’un peu différent et d’aménagé – pas tout à fait des vacances, mais un possible ressourcement – eh bien en fait, un crochet ramène à d’habitude.

Un auteur a travaillé, mais en fait, il ne sera pas payé, ou en fait pas maintenant, ou en fait enfin oui c’est du travail mais enfin peut-être.

 

Peut-être.

 

C’est Murphy qui l’a dit
C’est Murphy qui l’a dit
C’est Murphy qui l’a dit
C’est Murphy qui l’a dit

Parenthèse ?

Notre séjour à Boston se termine sur de profonds questionnements. Cette loi des séries nous met face à ce que nous aurions sans doute préféré laisser derrière nous. Malgré tous nos efforts pour avoir rendu notre voyage possible, voilà des obstacles qui mettent à mal notre organisation. Une solution sera trouvée, sans doute, mais dans combien de temps ? C’est comme un boomerang : on bâti les circonstances pour vivre autrement et les problématiques habituelles reviennent.

 

On peut placer deux parenthèses autour de soi, comme une protection, une respiration, mais elles ne sont pas imperméables. Elles vacillent. Pas de doute, la sérénité de notre constellation canadienne est loin, engloutie par le retour à la ville. Nous attendons donc la prochaine étape avec impatience : nous avions prévu une pause dans la forêt entre Boston et New-York.

 

Un an en avance, nous avions bien anticipé les besoins que nous aurions.

 

Plus que jamais, là, maintenant, nos sacs sur le dos, nous avons une seule certitude : nous avons besoin de repli et de nature.

4 commentaires

  • Jean-Claude dit :

    Nous sommes désolés d’apprendre que votre voyage vient d’être perturbé par cette série d’imprévus fâcheux. le prochain chapitre sera, espérons-le’, plus rassurant. Votre séjour à Boston nous rappelle de vieux souvenirs. Nous y avions passé cinq jours en avril 1990, nous avions réservé une chambre d’hôte dans une proche banlieue, tenue par une dame charmante, les trains étaient très fréquents pour aller en ville et revenir. Je ne pense pas avoir vu tous les monuments que vous nous signalez, mais j’ai le souvenir, en revanche, d’un immeuble de style vénitien (en fait acheté sur place et reconstruit à Boston!) devenu un musée de peintures et d’arts divers collectionnés par la défunte propriétaire.
    L’analyse que vous faites des sentiments et des soucis qu’ éprouvent les créateurs est aussi d’un grand intérêt. Je vous soumets à cette occasion une citation tirée de l’oeuvre de l’écrivain et poète carcassonais Joê Bousquet , condamné à l’immobilité après une blessure de guerre en 1917, pensée dont j’ai eu moi-même l’occasion de constater qu’elle s’appliquait aussi bien à la recherche scientifique: « On ne crée un peu qu’à force de détruire son oeuvre ». Qu’en pensez-vous?
    Nous attendons de meilleures nouvelles et vous embrassons de tout coeur,
    Grand-père et Suzanne

    • Samantha et Antoine dit :

      Cher Jean-Claude,

      Merci pour ce message ! Oui, parfois nous découvrons une ville selon des circonstances… mais depuis, tout va mieux ! Contents de savoir que nos articles ravivent de beaux souvenirs. Merci pour cette belle citation. À très bientôt,

      Antoine et Samantha

  • Emilie dit :

    Je suis désolée d’apprendre que cette étape urbaine se soit si mal déroulée. Comme je le disais précédemment je n’ai que peu d’affection pour les destinations urbaines des USA, et cela ne va pas me réconcilier avec les grandes villes. Je suis davantage éprise de grands espaces.
    Ménage-toi quand même pour la suite, ainsi qu’Antoine.
    Cette étape vous aura appris d’autres choses, bien que moins agréablement. Je vous souhaite une meilleure suite de voyage, et que des belles découvertes viennent effacer ces mésaventures.

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