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Samantha et Antoine

19 octobre 2019

6 commentaires

Se hisser au sommet

Une odeur de brûlé emplit nos narines. J’ouvre la fenêtre du van, inquiète. Au volant, Antoine fixe avec intensité la route sinueuse qui serpente entre les falaises granitiques escarpées. Un voile gris est tombé sur les éperons du parc Yosemite.

— La lumière est bizarre, non ? demande-t-il.

— Oui. On dirait qu’on est en fin de journée, alors qu’il est 11h.

Je me m’avance sur mon siège pour mieux discerner le soleil, qui n’est qu’une boule orangée dans une nappe de fumée. Des cendres valsent dans les airs avant de s’écraser sur notre pare-brise. Le doute n’est plus possible : il y a un incendie. Autour de nous, tout le monde semble paisible. Les voitures continuent de rouler jusqu’à leur destination. Tout mon corps est en alerte : cette odeur sature l’air, une odeur qui donne envie de fuir. Cela fait partie de ces moments d’urgence où l’on décide d’activer la 4G de notre téléphone pour en savoir plus. Quelques recherches Internet plus tard, nous découvrons qu’un incendie ravage une partie de la Californie à la frontière du parc national, à des centaines de kilomètres. Malgré la distance, impossible de l’ignorer. Les flammes ne sont que partiellement contenues par les équipes de pompiers mobilisées : une situation à surveiller. C’est donc dans une atmosphère surréelle que nous atteignons notre campground, baigné dans une lueur orangée inhabituelle pour cette heure de la journée.

Into the wild

À l’entrée, un ranger nous renseigne sur toutes les conduites à adopter ou ne pas adopter pour le respect de la vie sauvage. Notamment, chaque emplacement de camping est doté d’un grand placard en métal où il faut stocker « everything that smells » : nourriture, produits d’hygiène, etc. Ces mesures ont été prises afin d’éviter d’attirer les ours, et de réduire au maximum le contact entre les animaux sauvages et la nourriture humaine, qui de fait les attire et perturbe par la suite leur équilibre. Tout est donc bien rôdé ! Nous suivons scrupuleusement les consignes. Du coin de l’œil, j’observe Antoine, qui fait un brin de ménage dans le van, où l’on retrouve encore des grains de sable du désert. De chacun de ses gestes, de ses mots, émane une excitation, une électricité. Yosemite est une étape qu’Antoine attend depuis le début de notre voyage. Sa tête ne cesse de se lever vers les falaises escarpées, paradis des grimpeurs invétérés.

Le flow

Depuis plus d’un an, Antoine pratique l’escalade en bloc avec l’un de ses collègues. Une nouvelle activité sportive venue s’ajouter à la course et au trail. Et comme à chaque fois, pas de demi-mesure : les tables de chevet se sont parées de livres sur les exploits des hommes araignées. Nous sommes à Yosemite, dans le berceau de cette contre-culture californienne du free solo : les performances d’hommes et de femmes ayant gravi les falaises vertigineuses qui nous surplombent… sans aucune corde ou sécurité. Juste leurs mains et leurs pieds. Quand Antoine a regardé le documentaire « Free Solo », récompensé d’un Oscar en 2019, j’ai préféré quitter la pièce tant cela m’angoissait. Les images montrent l’ascension du plus célèbre rocher de la vallée : « El Capitan ». Imaginez ces individus agrippés à des rochers à la seule force de leurs bras, à 900m au-dessus du sol. Cela exerce sur lui une fascination, qu’il me résume souvent par la phrase: : « Je ne sais pas si c’est de la folie ou l’incarnation des possibilités de l’être humain. » Le débat est infini, mais quoiqu’il en soit, en ce moment, sa lecture est The Rise of Superman de Steven Kotler. Mêlant témoignages de scientifiques et de spécialistes de sports extrêmes, ce livre explore la notion de « Flow ». Pour ceux et celles qui suivent ma chaîne Youtube, ce terme vous sera familier. J’en ai fait une vidéo sous le prisme de la créativité. En psychologie positive, le « flow » est un état mental caractérisé par une concentration extrême, centrée sur la motivation. Une immersion totale, faisant perdre conscience de soi, et activant des ressources insoupçonnées. Oui, marathon et écriture ont beaucoup en commun.

Escalader

Yosemite est donc un terrain important pour Antoine. Nous y restons quatre jours, pour avoir le temps d’en profiter. Au petit matin, il bondit du van, euphorique, en brandissant son téléphone portable : il a gagné ! Le trail le plus populaire et difficile du parc national, nommé le Half Dome, n’est accessible que par le biais d’une loterie quotidienne. Il faut s’inscrire et espérer être retenu parmi les candidats. Les statistiques varient selon les périodes, notamment l’été, vous avez entre 5 à 10% de chance seulement d’accéder à cette randonnée réputée pour sa difficulté. Au programme, entre 10h à 12h d’ascension pour atteindre le sommet de ce dôme de granit situé à l’extrémité de la vallée, à 2600m d’altitude. Pour être honnête, je ne suis pas très rassurée (heureusement, je n’ai découvert que plus tard qu’il y avait eu 13 morts en 15 ans sur ce parcours). Mais Antoine est transporté par ce défi à relever, alors je souris en lui disant que je l’attendrais à l’arrivée, avec mes amis les cerfs hermione et les écureuils. Il y a des balades à faire dans le parc qui sont bien plus accessibles. Avec nos réserves de nourriture, je lui prépare un énorme sandwich à déguster quand il sera tout en haut. Cuisiner pour les personnes que l’on aime est une activité que j’affectionne particulièrement. Je tiens ça de mon père – c’est un excellent cuisinier, et rentrer à la maison est toujours synonyme d’un accueil qui s’exprime par une tarte salée, des crêpes ou des potages. C’est une attention envers les autres que je trouve très importante.

Dès 6h du matin, Antoine est donc debout, paré et équipé. Son sac à dos, ses gants d’escalade, des litres d’eau, de la nourriture et le kit de premiers de secours. Je le regarde s’éloigner avec une petite boule au ventre. Contre toute attente, lui qui est si réticent à utiliser les réseaux sociaux, a soudain envie de narrer son ascension via notre compte Instagram et les stories. À distance, je peux donc suivre son périple à travers les petites vidéos éphémères qu’il poste. Sueur au front, il commente les différentes étapes, de la première partie qui est une randonnée classique jusqu’à la section qui devient sérieusement escarpée. L’occasion de croiser de nombreux cerfs hermione, évidemment, mais ce n’est pas tout ! Alors qu’il est sur le sentier, un lynx roux surgit de derrière un rocher. Durant trente secondes, il pourra observer cet animal sauvage si rare marcher à ses côtés, puis se faufiler de nouveau dans les reliefs rocailleux. Cette rencontre est improbable : il y a seulement 80 individus de lynx roux dans tout le parc national de Yosemite, qui fait 3000km2 ! Réputé insaisissable et discret, les rencontres avec les humains sont très rares. Antoine aura juste le temps d’attraper son appareil photo pour capter un cliché flou, trace de cette rencontre fugace.

Le moment le plus redouté du trail arrive : l’ascension finale. Il faut se hisser le long de la falaise verticale grâce à deux câbles parallèles. Les gants sont indispensables, pour ne pas se brûler les doigts. Après quelques mètres, Antoine et les autres grimpeurs découvrent des taches de sang encore humides qui maculent la roche au-dessus de leur tête. Manifestement, quelqu’un s’est blessé un peu plus haut, et les traces rouges ponctuent toute leur montée. Plusieurs personnes pleurent, effrayées par cette dernière ligne droite. Antoine pensait éprouver de la peur ou du vertige, mais se découvre un grand sang-froid. Il poursuit l’ascension en rassurant les gens avec lui. Le plus difficile est l’effort physique : il faut compter sur ses bras pour gravir les mètres. Enfin, le sommet apparaît. Une surface rocheuse plate, qui donne une vue magistrale sur la vallée. Antoine est ravi. Il profite de la vue, mange son sandwich, prend quelques photos et redescend en faisant le chemin inverse, porté par l’enthousiasme. Au final, il a fait le trail du half-dome en seulement 6h13min, ce qui est bien plus rapide que ce qu’il avait anticipé !

Au sommet

Pendant ce temps, les choses sont bien plus calmes au campement. Je me suis promenée et j’ai suivi les péripéties d’Antoine sur Instagram, dans un petit café qui permet d’avoir une connexion wifi instable, certes, mais c’est toujours ça de pris. En avance sur l’heure convenue, il me retrouve attablée avec ma tasse de chocolat chaud et pose son sac à dos sur la table, triomphant et heureux. À n’en pas douter, ce trail fera partie des plus mémorables qu’il a vécu. Après le camp de base de l’Annapurna et le sommet du Kilimandjaro, c’est un nouveau territoire exploré pour lui. Encore sous les effets de l’adrénaline, il me raconte son périple, des étoiles plein les yeux, en me montrant les photos. Le soir, nous célébrons autour d’un feu de camp, entourés par les pins vertigineux qui se balancent au gré du vent. La fumée de l’incendie commence à se dissiper, l’air a retrouvé sa pureté. Nous ne sommes même plus surpris de voir surgir cinq cerfs hermione et un faon derrière notre van, qui viennent brouter quelques feuilles près de nous. La soirée est douce et paisible.

6 commentaires

  • Beetschen dit :

    Exploit impressionnant pour nous, et sans doute aussi pour d’autres! Nous ne connaissions pas la passion d’Antoine pour ces sports qualifiés d’extrêmes par ceux qui ne peuvent les pratiquer…Nous admirons.
    Grand-pre et Suzanne

    • Samantha et Antoine dit :

      Merci cher grand-père, c’est très touchant que vous nous lisiez si régulièrement !

      Antoine

  • Emily dit :

    Félicitations Antoine pour ce temps largement raccourci. Ce devait être une fantastique expérience, avec la satisfaction de l’exploit accompli et le fait d’avoir repoussé ses limites. Avec en plus une rencontre féline inattendue.

  • Jean-Pierre Fesson dit :

    Bravo à tous les deux et particulièrement à Antoine pour son exploit, c’est toujours avec délectation que nous suivons votre périple et savourons les récits de Samantha.
    Gros bisous .
    Jean-Pierre

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