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Samantha et Antoine

18 novembre 2019

6 commentaires

Plus de pleurs

C’est désormais un rituel bien connu. Les premières vibrations du tambour, dont on ressent les ondes invisibles. La voix un peu enrouée du moine, qui entonne un chant aux tonalités changeantes. L’odeur si caractéristique de l’encens se diffuse et chatouille nos narines. Jambes croisées, mains sur les genoux, dos droit… enfin, l’esprit cesse de tourbillonner. Retour au corps, aux sensations. Ignorance des fourmillements dans les jambes. Face à face sur le tatami, ni Antoine ni moi ne bougeons. Silhouettes minérales. Lorsque nous rouvrons les yeux, la salle auparavant obscure est inondée de la douce lumière du matin. Les croassements des grenouilles accompagnent notre retour au monde réel. Dépliement des jambes engourdies : il faudra quelques minutes pour marcher de nouveau. Cette fois-ci, sur conseil d’Antoine, j’ai décidé de relever le défi de ne pas bouger. De fait, c’était la meilleure séance de méditation depuis le début de la retraite. Apaisement, vide, et sensation étrange qu’un fil au-dessus de mon crâne me maintenait bien droite.

L'alimentation

Comme chaque matin, nous nous retrouvons tous trois dans la cuisine pour boire du thé. Jiho sourit en voyant mes grosses chaussettes duveteuses en forme de chat – achat dans un magasin québécois qui s’est révélé salvateur pour les froides nuits dans le van. C’est sûr que cela livre un certain contraste avec sa toge de cérémonie. Derrière la porte coulissante, des hurlements de détresse retentissent. J’ouvre et jette la poignée de poissons aux félins déchaînés.

Cats, soupire Jiho. Always crying, you know.

C’est intéressant qu’il emploie ce verbe, pleurer, car c’est vraiment le sentiment que cela donne. Des sanglots de l’autre côté de la moustiquaire.

Not hungry ? nous demande le moine.

— Non, pas du tout, répond Antoine.

Le changement le plus important de cette retraite est probablement notre alimentation. Nous sommes dans un univers complètement différent de nos habitudes occidentales, aussi bien pour la fréquence que pour la composition des repas. En France, il n’est pas rare de manger quatre fois par jour : petit-déjeuner, déjeuner, goûter, dîner. Dans le temple, nous nous calquons sur le rythme de Jiho, autrement dit, un repas à 11h, un autre à 17h, et c’est tout. Chacun est libre d’embrasser ou non ses habitudes. Là encore, il n’y a pas une succession de plats – entrée, plat principal, dessert – mais pléthore de recettes à disposition sur la table. Chacun pioche, goûte, picore, parmi les produits frais et de saison. Le moine nous explique son point de vue sur les liens entre l’alimentation et la santé. C’est sûrement, d’ailleurs, sa croyance la plus forte. Aux murs, de nombreuses photos de bébés, envoyées par des couples ayant des problèmes de fertilité de longue date, venus demander les conseils du temple. Jiho n’a pas recommandé de prier ou de méditer, mais de changer sa façon de manger. Les visages des enfants miraculeux sont partout dans la cuisine, accompagnés de petits mots de parents étalant leur reconnaissance. L’essentiel selon le moine est de concentrer sur 8h dans la journée les moments où l’on mange. Ensuite, plus rien. C’est une forme de semi jeûne continu. Antoine, qui a un immense appétit, n’éprouve pas de faim depuis notre arrivée. Nous pensions que déconstruire nos habitudes pourrait être frustrant, mais pas du tout. Une fois par mois, Jiho jeûne durant deux jours, selon lui pour nettoyer le système digestif. L’eau et le thé sont permis. Après cette période sans manger, un processus strict est à suivre, en commençant par boire quatre bols de soupes de daikon, les fameux radis blancs japonais qui prennent la moitié de son potager. Là encore, des études se sont intéressés aux effets du jeûne sur l’organisme, notamment aux changements qui apparaissent dans les paramètres sanguins et hormonaux. Si la documentation scientifique est très riche sur les animaux – démontrant une amélioration de la réponse au stress et un allongement de la durée de vie – elle reste lacunaire chez l’être humain.

Cats always crying, you know?

De nouveau, des miaulements désespérés se font entendre derrière la porte. Jiho pousse une exclamation agacée. C’est le moment. À mon tour de lui transmettre mon expérience.

— Jiho, je sais pourquoi les chats pleurent.

Il me regarde, interloqué.

— C’est à cause de leur mode d’alimentation. Vous-même, vous savez à quel point c’est important pour les êtres humains. Les chats n’ont pas le même comportement alimentaire que les chiens. Leur donner autant en un coup à chaque fois n’est pas une bonne idée. Dans la nature, les chats mangent des petites proies tout au long de la journée – environ douze par jour. Ils sont tout à fait capables de s’auto-réguler, mais leur appétit a tendance à être stimulé par la distribution de nourriture par leurs maîtres. Il faudrait leur laisser un bol de croquettes de bonne qualité à volonté, en plus de poisson. Ils sortent, ils se dépensent, ils ne grossiraient pas comme un chat d’appartement. Leur frustration explique peut-être leurs bizarreries, notamment le mâle qui tète encore sa mère à 7 mois. Les félins n’arrivent pas à synthétiser certains acides aminés, le jeûne prolongé n’est pas adapté à leur métabolisme.

Le moine reste silencieux, puis se lève, et disparaît par la porte latérale. Rien de plus. Cette fois-ci, je crains de l’avoir vexé ! Antoine et moi repartons à nos tâches du jour, le samu étant same than yesterday. Lui allume un feu pour brûler les feuilles mortes, tandis que je cueille encore quelques cageots de kabosu. Alors que je recommence le pressage des agrumes au-dessus de l’évier, le téléphone sonne. Je décroche.

Hi, it’s Christopher. I will be at the station at 11h15 !

— Bien sûr, quelqu’un viendra vous chercher à la gare !

Ça y est, les nouveaux arrivent. L’animation du temple va reprendre, achevant notre tête à tête avec le moine. Je suis très curieuse de savoir qui sont Christopher, Noëlla et Anthony. C’est toujours passionnant de comprendre ce qui amène des individus à venir jusqu’ici. Au moment où je remplis un énième bocal de jus de kabosu, Jiho surgit dans la cuisine, un sac en bandoulière marron contre le flanc.

Come with me.

Je me sèche les mains et lui emboîte le pas à vive allure. Plus haut, dans la forêt au pied de la montagne, un nuage de fumée s’envole vers le ciel. Antoine est à l’œuvre. Jiho monte dans sa voiture, je m’installe à l’avant. Ni une, ni deux, il met la musique à fond – Shakira ! SHAKIRA ! Je n’arrive pas à le croire – et le véhicule opère des virages serrés pour quitter le hameau. C’est une scène improbable, notre vieux moine qui marque de puissantes accélérations, puis déboîte, sur Whenever, whenever. Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa conduite est… sportive !

— Où allons-nous ?

Need buy things.

Nous longeons la côte de Kyūshū jusqu’à un petit supermarché de village. La caissière et plusieurs clients saluent Jiho. Tout le monde semble le connaître. Ce dernier fonce dans les allées, jusqu’à s’arrêter au rayonnage des animaux. Il me désigne plusieurs paquets de croquettes.

Your choice. For cats.

Je n’en reviens pas. Il m’écoute ! Je reste quelques instants penaude, touchée. Ne lisant pas japonais, le choix ne pourra pas être très éclairé.

— Prenons celui-ci, avec les chats mignons dessus. Parce que ce sont encore un peu des chatons, pas vrai ?

True. Kitten.

Nous revoilà de retour au temple, les bras chargés de sacs de croquettes.

Today samu is...

Quelques heures plus tard, Christopher arrive à l’entrée de la maison, ses bagages à la main. Antoine et moi l’accueillons. C’est un homme de soixante-dix ans, les cheveux blancs et les yeux d’un bleu limpide, à l’accent irlandais. Comme nous les premières heures ici, il se retrouve désarmé au milieu de la tempête. C’est la préparation du déjeuner, la chorégraphie démarre, vite vite, sortir les plats, couper le poisson, lancer la soupe miso, faire réchauffer le riz, sortir les sauces, placer les bonnes assiettes, et ainsi de suite. Comme l’ont fait Charlotte et Amir avec nous, nous expliquons à Christopher le sous-texte de cette retraite. Pour faire de ce temple sa maison, il faut connaître toutes sortes de petits détails, comme presser le bon bouton pour l’eau chaude, savoir où se range tel verre, mettre le linge sale dans la bonne panière..

— Fascinating ! s’exclame Christopher en goûtant les tempuras.

Autour d’une tasse de thé, nous faisons connaissance. Antoine et lui discutent avec animation de sujets politiques brûlants. Autrefois, Christopher travaillait pour l’équivalant de la sécurité sociale britannique. Depuis dix ans, retraité, il vit désormais en Thaïlande, près de l’un de ses meilleurs amis ayant décidé de devenir… moine ! Le bouddhisme et les retraites sont un univers familier.

— Depuis combien de temps êtes-vous ici ? demande Christopher.

— Cinq jours.

— Nooooon ! s’étonne-t-il. C’est pas vrai ? Au début, j’ai cru que vous étiez des employés du temple ! Vous m’avez si bien accueilli !

Nous éclatons de rire, et lui expliquons avoir eu le même sentiment quelques jours plus tôt. L’ancienneté ici, on la gagne au bout de trois jours environ. Se créé alors une chaîne tacite de transmission d’astuces et de connaissances. C’est peut-être cela le plus surprenant.

Le mystère des tatouages

Alors que nous faisons la vaisselle et rangeons, une silhouette féminine se découpe derrière la moustiquaire. C’est au tour de Noëlla d’arriver, une jeune femme souriante aux cheveux coupés au carré. Jiho lui montre sa chambre à l’étage, puis redescend, paniqué, les bras levés.

She has TATOOOOOOOOOS !

Et le moine s’absente dans sa chambre en marmonnant des phrases incompréhensibles. Christopher nous regarde d’un air sceptique, tandis que j’éclate de rire.

— Quel est le problème avec les tatouages ? susurre le vieil homme. Cela enfreint une tradition ?

— On ne sait pas trop, dis-je, on comprend juste que ça a un rapport avec les Onsens…

Tous les deux jours, Jiho passe une heure dans les bains collectifs d’eau thermale, alternant entre chaud et froid, comme l’enseigne le Nishi Health System. Nous nous y sommes rendus également : le Onsen est situé dans un hôtel très chic, et comme de nombreuses structures, les personnes tatouées n’ont pas le droit d’y entrer. Les tatouages au Japon ont une connotation négative du fait de leur pratique par les Yakuza, les membres d’une mafia dont les crimes organisés n’ont rien de secret. Nous avons compris au fil des jours que, bien sûr, n’importe qui peut déduire qu’un Français ayant un tatouage de papillon sur l’épaule ne sera pas un criminel. Mais le refus étant une conception si complexe au Japon, leur solution est d’interdire l’accès de façon générale afin d’éviter de formuler un « non » à un individu en particulier.

Noëlla nous rejoint dans la cuisine, fatiguée de l’itinéraire tortueux pour arriver jusqu’ici.

— Vous êtes français ? demande-t-elle.

L’accent ne trompe pas. Joie de parler notre langue de nouveau – cela faisait une éternité ! En dix minutes top chrono, nous nous découvrons déjà des relations professionnelles communes. Noëlla étant interprète franco-japonaise, elle connaît notamment les éditions nobi nobi ! et certains de mes contes. Le monde est petit, y compris dans un temple perché dans la campagne d’Oita.

Onsen Tatoos

Quand Jiho surgit de nouveau dans la cuisine, c’est pour nous annoncer que nous allons tous au Onsen. Ce qui signifie, maintenant, pas même dans trois minutes ! Nous nous précipitons dans les armoires pour attraper nos serviettes, boucler nos sacs, et nous voilà qui courrons presque jusqu’à la voiture. Cette fois-ci, ce n’est pas Shakira qui empli l’habitacle, mais une compilation de chansons allemandes. Le moine passe une vitesse, et je souris en voyant Christopher s’agripper à l’appuie-tête dans les virages. À l’arrière, Noëlla et moi échangeons un regard entendu. Nous pensons tous la même chose. Cette conduite est… surprenante ! Les discussions chaleureuses se poursuivent sur nos vies en région parisienne, la famille, les amis, le travail en tant qu’indépendant, tandis que le véhicule slalome au bord de la côte.

— Comment on va faire, avec mes tatouages ? demande-t-elle. Vous croyez que j’aurais le droit d’entrer ?

— Il va sûrement nous emmener dans un autre Onsen, où c’est autorisé, dit Antoine.

Soudain, la voiture s’immobilise devant un petit bâtiment décrépi, à la façade noircie par endroits.

Your Onsen, lance Jiho à l’adresse de Noëlla.

— Ah bon ? m’étonné-je. Mais on ne va pas au même ?

— Non mais c’est normal, lance-t-elle, ils acceptent sûrement les tatouages là-bas, ne vous inquiétez pas, c’est moi qui dérange tout le monde…

Meet us here in one hour, ordonne le moine.

La portière claque, et nous voyons Noëlla marcher jusqu’à la petite porte surmontée d’un panneau aux lettres à demi effacées.

— La vache, il fait pas envie, le Onsen des tatouages, me glisse Antoine.

— Je viens de comprendre… il y tient, à son Onsen de luxe. C’est ça le truc ! Le mystère de la phobie des tatouages est élucidé.

Nous voilà tous les deux qui faisons un immense effort pour retenir un fou-rire. Il n’était pas question de spiritualité ou de superstition, mais de la contrariété éventuelle de ne pas pouvoir aller dans son Onsen préféré. Merveilleux.

Dix minutes plus tard, la voiture se gare devant l’hôtel au carrelage impeccable. Christopher, qui ne comprend pas français, nous murmure :

— L’autre Onsen était… comment dire… un peu le genre d’endroit où on a peur de se faire trancher la gorge, non ?

Je m’approche de Jiho, avant que nos chemins se séparent entre les parties hommes et femmes.

— Dites-donc Jiho, c’est un peu la punition, le Tatoo Onsen.

Il réprime un sourire, puis éclate d’un rire saccadé.

Tatoos onsen… very funny… good name…

— Non mais je veux dire, en fait le truc, c’est que vous adorez CE ONSEN.

Yes. My favorite Onsen. The best.

Et il rit de bon cœur. Après une heure de relaxation dans les eaux bouillantes, nous nous retrouvons tous à la sortie, le visage détendu. En réalité, Noëlla a passé un très bon moment dans le Tatoos Onsen, comme on l’appelle désormais. Elle y a fait la connaissance de charmantes mamies avec qui elle a pu parler en Japonais. Mais cet épisode nous aura permis de cerner encore un peu mieux notre mystérieux hôte.

 

Nouveau groupe

Le lendemain, dans l’obscurité, quatre silhouettes enroulées de couvertures avancent lentement vers la grande salle. Le séjour dans le temple touche bientôt à sa fin. Cette séance de méditation sera très apaisante pour Antoine, qui tient de plus en plus longtemps en lotus sans souffrir. Pour ma part, c’est un échec : l’esprit ne tient pas en place. Jiho annonce de nouveau un samu incompréhensible, sous les expressions perplexes des nouveaux venus. Le thé des montagnes matinal, puis je remplis le bol de croquettes des chats. Aucun miaulement plaintif à déplorer. Déjà, qu’ils aient eu à volonté hier fait qu’ils ne se sont pas gavés et que la frustration diminue. Pour les tâches à accomplir, nous nous scindons en deux équipes : Noëlla et moi poursuivons la récolte et le pressage de kabosu, tandis qu’Antoine, Christopher et Jiho débrouillassent la partie haute du cimetière. Tout en évitant les araignées, Noëlla et moi discutons des métiers artistiques, qu’elle connaît bien également, mais aussi de sa vie durant plusieurs années au Japon. Cela doit être passionnant, de vivre un certain temps dans un autre pays, de se nourrir d’une autre culture. Après les travaux d’entretien et de jardinage, Jiho nous indique qu’il est l’heure de faire les grandes courses de la semaine. Il faut voir cette scène : dans les rayonnages d’un grand supermarché, les trois occidentaux sur les talons du moine, tels de petits serviteurs appliqués. Nous lui tendons nos paniers dans lesquels il dépose des fruits et des légumes. Ayant remarqué la passion d’Antoine pour son ceviche, son choix se porte sur du poisson. Si l’un d’entre nous a une envie particulière, il prendra l’aliment sans hésiter. Jiho ne parle pas beaucoup, mais observe, et veut sans aucun doute faire plaisir. Deuxième arrêt : un magasin d’alcool, pour faire l’acquisition du saké pour le welcome drink traditionnel. Quand nous rentrons des emplettes, le dernier invité vient d’arriver.

Vive le Canada

Anthony, un jeune canadien de Toronto, a entrepris un long voyage durant un congé sabbatique. Nous l’intégrons immédiatement à notre petit groupe déjà soudé. Bientôt, la table est pleine à craquer, entre les sets, les plats, les bols et les sauces.

Where are you from ? demande Jiho à Anthony.

— Canada.

Silence. Il avait oublié. Je lance un regard malicieux à Jiho, dont les lèvres tremblotent dangereusement. Fou-rire en approche.

— Quel merveilleux pays ! lancé-je joyeusement.

Ça y est, le moine éclate de rire à l’autre bout de la table. Antoine et Noëlla, qui connaissent la « théorie des 80% » du moine, peinent à rester de marbre.

— Je suis bien d’accord, répond Anthony, les Canadiens sont géniaux ! Vous vous y êtes déjà rendu ?

— Yes, répond succinctement le moine.

— Question importante, lance Christopher, avez-vous des tatouages ?

— Oui, répond innocemment Anthony, pourquoi ?

Jiho et moi échangeons un regard complice. Le Canada et les tatouages ! Voilà de quoi le bousculer un peu.

— Super, se réjouit Noëlla, on pourra aller au Onsen Tatoos ensemble, je ne serai plus seule !

Le silence s’installe, uniquement brisé par les exclamations de ravissement et le tintement des baguettes contre les plats.

Ooooh ! s’exclame soudain Jiho. Cats ! Don’t crying anymore.

— Oui, dis-je avec fierté. À ce propos, je les ai baptisés. Il y a Frog Killer, la petite, Big Mother Issue, le gros, et Ecaille de tortue, la maman.

Jiho rit de nouveau. Il est particulièrement de bonne humeur ce soir. Cela se voit, qu’il aime cela, recevoir dans sa maison de parfaits étrangers, les intégrer à sa vie. Nous trinquons tous ensemble à ce nouveau groupe qui se forme.

— Je vais être l’ancien maintenant, plaisante Christopher, je suis là depuis deux jours !

— Oui, c’est une grande responsabilité ! Tu seras en charge d’apprendre à tout le monde. Notamment, il faut que tu perpétues les noms des chats, et leurs nouvelles habitudes alimentaires…

— J’adore les chats ! lance Anthony. Je veux bien m’en occuper, quand tu partiras.

— PARFAIT ! dis-je. Tu es officiellement Responsable Animaux Du Temple.

C’est dans la joie, les rires, la bonne humeur et quelques verres de saké que s’achève notre séjour dans le temple. Quitter notre chambre, la salle de méditation, le potager, les chats, le verger, nous fait un pincement au cœur. Antoine et moi avons tellement aimé vivre ici. Jamais nous n’aurions imaginé qu’un si bel équilibre pourrait être trouvé entre la vie en communauté et nos propres espaces d’introspection. Ce qui a fait la richesse de cette expérience, c’est sans aucun doute Jiho, un personnage à part entière qu’il a fallu apprivoiser. Entrer dans sa vie, observer, apprendre, par quelques gestes. Les actes avant tout. La retraite, le repli, n’est pas cette existence austère qu’on peut imaginer, où la privation est reine. Ce que nous avons compris, c’est que tout tournait autour des notions d’équilibre et de modération. Il n’y a pas d’opposition bien délimitée entre le mode de vie de Jiho et le monde que nous connaissons. Il écoute Shakira, va faire ses courses et apprécie son Onsen préféré, et est même capable de remettre en question certaines habitudes. Nous aussi, nous allons questionner les nôtres. En rentrant, nous voulons ramener un peu du temple avec nous.

Un peu du temple avec soi

En faisant nos bagages, nous rallumons nos téléphones portables et ordinateurs. C’est comme ouvrir la boîte de pandore : des centaines de messages surgissent, entre la boîte mail et les réseaux sociaux. Nombreuses sont les personnes qui se sont inquiétées de ma « disparition », malgré le texte indiquant que nous ne serions pas joignables. C’était à prévoir. Retrouver les écrans, le lien virtuel avec nos proches, nous fait plaisir. Mais pouvoir se passer de cela durant une semaine est un enseignement précieux, pour des personnes comme nous ayant grandi avec Internet. Cette expérience va sans aucun doute engendrer un certain nombre de changements dans notre quotidien. Certaines idées germent et n’attendent qu’à être arrosées.

Nous quittons le temple.

Et les chats ne pleurent plus.

6 commentaires

  • Estelle dit :

    Quelle expérience incroyable ! Merci de partager cela avec nous 🙂

  • Jean-Claude dit :

    J’avais laissé un commentaire hier soir, mais j’ai dû oublier un détail pour l’enregistrer…Nous avons suivi au jour le jour votre itinéraire si original dans un Japon inattendu. Les photos d’Antoine ont donné un relief additionnel au récit si vivant de Samantha et on avait l’impression réelle d’être à vos côtés dans ces expériences originales.Pour ma part, j’ai aussi appris que le plus gros frelon du monde était japonais et que l’automne prolongé permettait aux araignées de continuer à garnir la végétation environnante. Cela a réveillé mes intérêts de jeunesse pour la zoologie générale!
    Votre retour en France doit donc être maintenant très proche. Nous espérons que, dans les mois à venir, vous pourrez encore nous entretenir de vive voix de ces parcours si minutieusement préparés et dont la réussite nous paraît complète malgré les imprévus que vous avez rencontrés et dont vous vous êtes si bien tirés!
    Bien affectueusement à tous deux,
    Grand-père et Suzanne

    • Samantha et Antoine dit :

      Cher grand-père,

      Merci pour ton message qui fait très plaisir ! C’est chouette de savoir que vous pouvez suivre d’aussi près nos pérégrinations – vive Internet ! Je ne manquerai pas de t’appeler à mon retour. Nous aimerions venir vous voir au printemps, avec Raphaël.

  • Emily dit :

    Cette série d’articles a été l’une des plus inspirante. Notamment ce sentiment d’être vraiment accueilli. C’est fou de voir la vitesse à laquelle vous vous êtes intégrés, et ce sentiment que chacun apporte sa pierre à l’édifice. Cela semble être une très belle expérience.

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