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Samantha et Antoine

13 novembre 2019

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Le pèlerinage de Shikoku

Notre rencontre avec Matsuyama commence par un passage couvert empli d’agitation et de brouhaha. Des stands sont montés consciencieusement, sur lesquels on trouve des bijoux, meubles, peluches, coffrets et autres objets artisanaux. Antoine et moi slalomons entre les étals, nos gros sacs sur le dos. C’est notre dernière étape de Shikoku, et nous décidons de la passer à flâner. Tout commence par un délicieux petit déjeuner dans une minuscule échoppe, le Café BC. En ce moment, nous tâchons d’être le plus concentrés possible sur l’instant présent et tout ce qu’il y a de précieux dans ces tête à tête. Cela peut paraître anodin, le premier repas de la journée, après de longues escapades dans la montagne, mais voilà, la vie révèle ses trésors dans ces petits rien, ces petits vides, ces petits gestes. En silence, nous savourons. Nous sourions. Être ici, à l’autre bout du monde, dans cette ville dont on ne sait finalement rien, n’est pas étrange. C’est une journée qui commence comme beaucoup d’autres, sur une page blanche. Le café est le meilleur que nous avons dégusté au Japon. Le ventre rempli, nous décidons de nous promener au gré des rues. Pousser les portes des antiquaires japonais est un ravissement pour les yeux. Kimonos anciens, céramiques précieuses, théières d’un autre siècle… Nous avons simplement envie de voir, d’observer, de contempler.

Des armures

Nos pérégrinations nous conduisent jusqu’au château de Matsuyama, qui date de 1602. Un bâtiment impressionnant par ses tours de guet et ses meurtrières. Nous arpentons les étages tout en découvrant d’anciennes armures des Samouraï. Pensée pour mon père, qui vouait une grande passion à ces guerriers, quand il était adolescent. Il me disait souvent « un jour, j’irai au Japon, rien que pour voir ces armures ». Tant de souhaits formulés à voix haute ou à voix basse. De fil en aiguille, c’est toute l’enfance qui revient au gré des vitrines. Parfois, j’aimerais que lui, mon frère et moi bloquions une semaine dans notre agenda pour partir tous les trois quelque part – au Japon par exemple. Un voyage en famille comme on aurait dû en faire plus. Pour que les « un jour » deviennent des « maintenant ». Lorsque l’on est ainsi perpétuellement en mouvement, chaque nouveau lieu génère des associations, puis des souvenirs. Oscillations permanentes entre passé, présent et futur, entre ce qui s’est déroulé et ce qui pourrait se dérouler. L’éloignement géographique, la mise à distance du travail, ouvre un grand espace en soi. De l’air. Un tourbillon de mille et unes images. L’agitation du quotidien peut nous détourner si vite de pensées importantes, évidentes, vitales même.

Le temple de Kukai

Antoine et moi redescendons ensuite en centre-ville, pour plusieurs heures d’errance dans les quartiers résidentiels. Étrange cohabitation de maisons cossues et de bâtiments abandonnés, envahis par la végétation. Comme d’habitude, un calme olympien règne. C’est ainsi que nous tombons par hasard sur un temple quelque peu en retrait, dans la forêt bordant la ville. Il se trouve qu’il figure parmi les célèbres lieux de pèlerinage de Shikoku : Ishite-Ji. À peine voit-on les statues de Bouddha et la grande pagode à trois étages apparaître que nous ressentons tous deux un curieux sentiment. Celui de franchir le cercle d’un environnement singulier. Contrairement aux autres temples que nous avons pu visiter, celui-ci est quelque peu délabré. Rien d’artificiel ou de trop soigné, c’est la vie spirituelle brute, dans un écrin de plantes tropicales. Les araignées cohabitent en paix avec les chats errants qui dorment aux pieds des divinités protectrices, profitant des rayons de soleil qui filtrent à travers la frondaison des arbres. Les bâtiments se succèdent, certains vides, d’autres occupés par un musée improvisé. Antoine s’installe sur un tatami pour méditer. Il y a quelques années encore, chaque journée commençait pour lui par une-demi heure jambes croisées et paupières closes, jusqu’à ce que cette habitude se dilue dans le rythme urbain. De mon côté, je m’assois avec les chats du temple. Depuis notre séjour chez Mme Kazuki, l’odeur de l’encens est devenue agréable. Nous passons ainsi des heures à déambuler entre les pavillons, en observant les statues et la nature. Nous apprenons que ce temple a été bâti en hommage de Kukai, le plus célèbre moine bouddhiste du Japon.

Spiritualité

La vie spirituelle japonaise est un mélange fascinant d’influences. Le shintoïsme est une religion polythéiste et animiste, comprenant des milliers de kami, des esprits incarnant les forces naturelles. Cette croyance ne prend pas la forme de règles formelles, étant davantage un ensemble de traditions. Le bouddhisme s’appuie sur l’enseignement du Bouddha et l’aspiration d’atteindre l’Eveil, mais se divise au Japon en une dizaine de branches, dont seulement sept d’entre elles sont encore répandues aujourd’hui. La cohabitation de ces deux courants a donné la liberté aux Japonais de construire leurs vies spirituelles dans une alliance du shintoïsme et du bouddhisme. Voilà pourquoi on retrouve parfois des symboles de l’un et de l’autre, ce qui peut prêter à confusion quand on cherche à distinguer les deux. Depuis que j’ai mis les pieds au Japon, il y a quelques années, temples et sanctuaires m’ont toujours inspiré une profonde sérénité. Sans doute un lien inconscient avec toute la culture japonaise dont ma vie a été irriguée : des jeux vidéo avec Final Fantasy en passant par le brillant Kafka sur le rivage de Murakami, c’est un imaginaire artistique et littéraire marqué de cette spiritualité. Au tout départ, Antoine et moi voulions effectuer le pèlerinage de Shikoku : un circuit de plus de 1000km pour aller à la rencontre des 88 temples dispersés sur l’île. Pour l’effectuer à pied, il faut compter 3 mois, ce qui n’était pas possible compte tenu du temps dont nous disposons. C’est justement pour suivre les traces du moine Kukai, fondateur de l’école Shingon, que l’on fait ce parcours. Alors que nous sortons du temple par une route, nous découvrons une immense statue à son effigie dépassant des arbres. Nous croisons quelques pèlerins, reconnaissables à leur kimono blanc (tenue liée à la mort), leur bâton (incarnation de Kukai, qui les guide) et leur chapeau large (pour protéger des intempéries). Nous sommes heureux d’avoir aperçu un morceau du pèlerinage. Peut-être un jour ?

Loin de tout

Nous redescendons ensuite à pied jusqu’au centre-ville, pour découvrir le Dogo Onsen, l’un des plus anciens onsens du Japon. Antoine et moi commençons à nous familiariser avec ces bains collectifs, et nous décidons de tenter l’expérience. L’édifice étant en rénovation pour sept ans, de nombreuses salles sont fermées. Difficile de se détendre dans les allers-retours d’une foule bruyante dans un unique bassin d’eau chaude ! Alors que nous avions convenu de rester chacun 45 min, nous nous retrouvons avec surprise au bout de 10min à la sortie – ni l’un ni l’autre n’a supporté sa salle bondée. Parfaitement synchros. Les cheveux mouillés, nous prenons le chemin du retour. En ce moment, les journées sont denses, nous bougeons en permanence. Le besoin d’immobilité, de stabilité, revient. Ne serait-ce que quelques heures, pour coucher sur le papier ces expériences et reprendre contact avec l’autre bout du monde. Shikoku a sans aucun doute marqué un point pivot essentiel dans notre périple : nous nous sentons loin, très loin, dans une forme de dimension parallèle. Ne pas maîtriser le japonais pourrait paraître un obstacle, mais c’est en réalité cette ignorance qui rend ces étapes si reposantes. De fait, ce bain de langage nous est inconnu. Je ne cherche pas à le déchiffrer, à le comprendre, les mots glissent sans accrocher. On sous-estime les efforts constants de capter tous les signaux de son environnement. L’ignorance peut-être très douce.

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