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Samantha et Antoine

29 novembre 2019

2 commentaires

Dernière constellation

Ainsi s’achève notre parenthèse.

3 pays.
36 étapes.
36 561 km.

C’est le cœur serré que nous jetons un dernier regard aux plages éclatantes des îles d’Okinawa. Pour la dernière fois, il faut plier les vêtements, ranger les trousses de toilettes, boucler les sacs à dos. Notre prochaine destination n’est pas inconnue. Ça y est, nous rentrons à la maison. Un maelström d’émotions contradictoires nous escorte jusqu’à l’aéroport, promesse d’un retour aussi joyeux que déchirant. Le temps est venu de refermer cet arc de cercle, de reprendre le fil de notre récit en France. Le temps s’est écoulé d’une façon singulière. C’est déjà la fin, et pourtant, nous avons du mal à croire que nous avons vécu autant et si fort en l’espace de trois mois. Dans nos esprits dansent une myriade de scènes lumineuses.

Les souvenirs

Les premières lueurs de l’aube incendiant les contours incertains de Montréal.

Nos corps qui plongent dans l’eau bouillante d’un Onsen creusé à même la roche, encerclé par les vagues de l’océan Pacifique.

Le goût sucré-amer d’un cocktail savouré en haut d’un gratte-ciel vertigineux à New York.

Dans l’écrin de feuilles gigantesques, des pierres sculptées symbolisant les esprits de la nature.

Le van qui s’élance sur la ligne de bitume infinie, qui coupe les étendues désertiques en deux.

Les arcades lumineuses et bruyantes d’une salle de jeux à Osaka.

Une yourte circulaire en bois, dans laquelle on se love pour lutter contre le froid.

Au bord du Saint Laurent, une minuscule maison bleue dans les herbes secouées par le vent.

La magie de déambuler dans les ruelles silencieuses de Kyoto à l’aube.

Dans un virage, un groupe de macaques japonais occupant le bitume pour s’épouiller, jouer, courir.

De longues heures de marche entre les cheminées ocres d’un canyon.

Ce discret sentier dans la forêt tropicale, qui débouche sur une plage déserte ourlée d’eau turquoise.

Les silhouettes torturées des Joshuas Tree sur le sable s’étirant jusqu’à l’horizon.

Ce petit déjeuner savouré au bord de la falaise, les pieds dans le vide, à observer les phoques plonger dans les vagues.

La nuit tombée, nos mains qui se nouent sous le dôme en verre d’une serre.

Les miroirs des lacs canadiens, troublés par les plongeons des castors que l’on observe depuis la rive.

Une bague dans un coquillage, des larmes, des rires et des baisers humides.

Allongés dans le van, le chant incroyable des gibbons comme réveil.

La voûte noire piquetée d’étoiles que l’on contemple, les mains tendues au-dessus de la chaleur du feu.

Tous ces moments restent vivants, nets, puissants. Nous les sentons partout autour de nous, ces souvenirs que l’on chérit comme des trésors. Ce sont eux qui repoussent la tristesse. Au fil du voyage, ces images se sont ajoutées les unes aux autres, pour devenir des sujets de discussion. Il y a eu un point de bascule, difficile à identifier, où nous avons commencé à parler davantage du passé que du futur. Souvent le soir, au moment du dîner, venait le plaisir de conter encore et encore nos aventures à voix haute. Comme pour leur donner corps, les graver, les revivre encore un peu, rien qu’un peu. D’étape en étape, de ville en village, de pays en pays, nous avons eu la sensation d’être entraînés par un extraordinaire courant. Chaque journée a été source de changement, d’étonnement, de curiosité ou d’émerveillement. Des habitudes se sont tissées dans cette vie nomade, des repères qui nous ont aidé à naviguer sans jamais perdre notre cap. La joie de grandir au contact de ce que l’on ne connaît pas.

Parcours

La première constellation, le Canada, était un grand espace qui s’ouvre. L’euphorie du début du voyage, les émotions qui jaillissent sans crier gare, la soif de découverte. Le commencement était une libération attendue. La seconde constellation, la côte Est des Etats-Unis, aura été celle de la confrontation. Quand ce que l’on a laissé derrière soi revient tel un boomerang, et qu’il faut alors ajuster, composer, résoudre. À toute liberté ses barrières. Est venu le moment de la côte Ouest des Etats-Unis, qui allait de pair avec une nouvelle expérience : vivre de façon totalement nomade, en van. Cet itinéraire aura été celui de l’émerveillement, de la beauté, des idées, du ressourcement profond. Un paradoxe : sentir ses racines plonger profondément dans la terre nourricière, quand pourtant nous ne faisons que bouger. C’est dans ces paysages rougeoyants que nous avons senti notre parenthèse prendre toute son ampleur. Et puis ce fut déjà le moment de la dernière constellation : le Japon. Un parcours de contrastes, des mégapoles frénétiques à la retraite dans un temple bouddhiste. Dès le premier jour à Tokyo, nous avons été envoûtés par la beauté et le raffinement de ce pays. L’exigence, qu’elle s’exprime dans la vie urbaine ou dans la quiétude des îles, nous apprend à porter une toute autre attention à nos mondes intérieurs et nos interactions avec les autres. Ici, la politesse est un art de vivre. Ce n’est pas qu’une façade ou une question de manières, il s’agit bien de philosophie. Du nord au sud, nous avons rencontré une époustouflante diversité de paysages, de cultures, de mentalités. Tout en suivant nos dernières étoiles, il est apparu évident qu’était venu le temps de la transformation. L’expérience faisant son œuvre, nous nous sommes sentis devenir de véritables voyageurs, de plus en plus ouverts à l’imprévu et à l’autre. Le fait de vivre chez l’habitant, de se fondre dans le quotidien d’individus, a profondément changé certaines de nos perceptions et habitudes. Nous savons qu’à notre retour, nous conserverons précieusement ces apprentissages.

Transformation

Liberté. Confrontation. Nomadisme. Transformation. Nos constellations ont été marquées par les grands mouvements de nos univers psychiques. Les déplacements du corps sont allés de pair avec ceux de l’esprit. Oui, sans aucun doute, tout a bougé, autour de nous et en nous. Nos perceptions, nos réactions, nos priorités. Parce que nous avons bâti ces deux arcs de cercle, tantôt solides, tantôt tremblants, qui ont ouvert un espace. Cette parenthèse, nous l’avons vécue. Elle fait désormais partie des souvenirs les plus vibrants de nos existences. Vous savez, ces images qui reviennent lorsque vous fermez les yeux. Une chanson entêtante dont on n’oubliera jamais le refrain. Ces constellations, nous ne comptons pas tout à fait les laisser derrière nous. Sachez-le : ce journal de bord ne fait que commencer.

2 commentaires

  • Louise dit :

    Texte encore une fois magnifiquement raconté. C’est très triste de savoir que nous ne suivrons plus ses aventures palpitantes!
    😀

  • Jean-Claude et Suzanne dit :

    Après ces merveilleux voyages, la nostalgie vous envahit-elle déjà? Vous aurez des souvenirs à foison pour faire revivre ces heures de bonheur. Et vous êtes tout de même encore assez jeunes pour pouvoir espérer reprendre plus tard une nouvelle expédition!
    Félicitations à tous deux pour l’épisode si bien préparé de la bague dans le coquillage.
    Et si vous êtes déjà dans l’avion du retour, faites de beaux rêves avant d’atterrir!

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