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Samantha et Antoine

22 octobre 2019

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Bâtir le rêve

Rouler le long de la côte Ouest est un bonheur qui ne se tarit pas. Les heures dans le van passent à toute allure quand l’océan bleuté s’agite de l’autre côté de la vitre. Pour commencer cette journée, nous décidons de nous arrêter sur l’une des plages enclavées que nous croisons sur notre chemin. L’occasion de prendre le petit déjeuner en compagnie de la rumeur des vagues. À peine met-on un pied dehors que l’air iodé nous saute au nez. Nous inspirons à plein poumon pour nous remplir de cette atmosphère si particulière, vivifiante. Tout en engloutissant des tartines – qui semblent intéresser les corbeaux et écureuils du coin – nos regards sondent l’horizon. Nous apercevons tout à coup des formes surgir dans les courants près des rochers. Un groupe d’éléphants de mer, les plus imposants représentants des phoques ! Les voir plonger et réapparaître à intervalles réguliers est un merveilleux spectacle. Antoine s’installe à même le sol et reprend sa lecture en cours. Je descends le long d’un petit sentier pour atteindre une plage de sable et de galets luisants. Le moment parfait pour une chasse aux coquillages. Chercher le moindre éclat brillant.

S’accroupir pour fouiller le sable.

Mettre ses précieux trésors dans sa poche.

La journée commence de la meilleure des façons.

Les yeux de l'enfance

Si pour moi la côte Ouest des Etats-Unis est une découverte de chaque instant, c’est pour Antoine un retour sur les traces de ses souvenirs d’enfance. Lorsqu’il avait treize ans, son père, sa sœur et lui ont fait un road-trip dans cette même région. Paraît-il que déjà, juché à l’avant du camping-car, à une époque sans GPS rappelons-le, Antoine était chargé de l’orientation. Je l’imagine, petit garçon, tenir fermement la carte routière. Aucun doute, les itinéraires, les trajets, les Nord et les Sud, c’était déjà son point fort. Vivre ce genre d’expériences en étant jeune est une chance incroyable pour s’ouvrir de grands horizons sur le monde. C’est pour cette raison que nous faisons escale à Hearst Castle, un somptueux domaine juché sur les hauteurs de Saint Simeon. C’est l’une des étapes de ce voyage qui l’a le plus marqué à l’époque. Les images sont confuses, mais il se remémore avoir été très impressionné par des œuvres d’art et une architecture grandiose. Il voudrait donc revoir les lieux avec ses yeux d’adulte. À peine arrivons-nous sur le parking que j’émets quelques réserves : ça m’a tout l’air d’être une nouvelle attraction à l’américaine. Nous voilà cernés de boutiques vantant la grandeur d’âme d’un homme, William Randolph Hearst. Tout y est en matière de produits dérivés : porte-clefs, magnets, peluches, assiettes, biographiques…

« Rappelle-moi, il a fait quoi ce type ?

— Il a construit cet endroit, répond Antoine. Je ne me souvenais pas que ça faisait aussi… euh… fake ?

— Maintenant qu’on y est… on va voir, c’est juste l’entrée, le château est plus haut.

— Je me souviens que c’était beau. Vraiment beau.

— Mais beau comment ? Beau Versailles carton-pâte ou beau beau ?

— Beau beau.

— Bon. Faisons confiance à Antoine 13 ans ! »

Le sens commercial du lieu est redoutable : impossible d’entrer dans le bus sans passer par la case « photo souvenir » devant, accrochez-vous… un fond vert ! Eh oui, pourquoi prendre soi-même des photos ? Pour une poignée de dollars, on vous propose de poser puis d’incruster par la suite le paysage du domaine de votre choix. Ah, comme c’est merveilleux, un souvenir si authentique… Nous voici désormais parmi un groupe de touristes comme nous, le poignet cerclé d’un code barre nous certifiant notre accès. Le bus grimpe tant bien mal la route qui serpente au milieu des collines arides, qui ne sont pas sans rappeler l’arrière-pays Méditerranéen. De temps à autre, la silhouette blanche du château apparaît entre deux virages. C’est à ce moment précis que nous voyons notre première mygale de Californie. Le véhicule roulant très lentement, nous avons le temps de voir l’énorme araignée noire qui traverse le le bitume.

Dreamer ?

Antoine 13 ans avait cependant raison : nous sommes saisis par la beauté des lieux. Je m’attendais à un édifice sans âme, et suis agréablement surprise par l’agencement des jardins, les vues imprenables sur l’océan, les bassins de nénuphars, les mosaïques anciennes et la façade aux influences Renaissance Espagnole et Gothique. C’est démesuré mais cela garde une dimension étrangement… chaleureuse pour une villa aussi gigantesque. Paraît-il que le richissime magnat de la presse avait dit à l’époque, en acquérant ce terrain désert : « I would like to build a little something ». Ça vous plante le personnage. Chose qui est appréciable : on martèle sans cesse que toutes ces constructions sont l’œuvre de son architecte, Julia Morgan. C’est la première femme admise en section architecture aux Beaux-Arts de Paris, en 1898. C’est sur elle, à vrai dire, que j’aurais aimé en apprendre davantage : ce qui l’a conduit à travaillé sur cette commande, la raison de certains choix et partis pris… mais nous aurons surtout droit à ce refrain entêtant sur Hearst, le DREAMER et ACHIEVER. En même temps que nous déambulons à l’intérieur du château, où ont été collectés des meubles européens, des tapisseries médiévales et autres objets inestimables, Antoine mène son enquête sur Internet. Il me murmure une toute autre histoire que celle que raconte le guide-cerbère, alors que nous suivons le petit groupe dans les couloirs. Hearst possédait 28 journaux et 18 magazines, jusqu’à la Grande Dépression qui a fragilisé sa fortune. Il s’est rendu dans les années 30 en Allemagne, dont il admirait… la force du nazisme, ce qui lui a valu de s’attirer les foudres de la gauche américaine. À noter que ses journaux dénoncerons néanmoins la Nuit de cristal. C’est sa personnalité qui a inspiré le film Citizen Kane, d’Orson Welles, œuvre culte et innovante. Hearst a tout tenté pour faire stopper sa diffusion, en vain. Le studio de production a réussi à aller au bout du projet, mais de fait, ce conflit a eu des répercussions sur le box-office. Quatre-vingt ans plus tard, me direz-vous, Citizen Kane figure parmi les films jugés les meilleurs de tous les temps. Et nous voici les pieds dans Xanadu.

Les yeux de l'âge l'adulte

Notre visite s’achève par un dernier discours grandiloquent de notre guide, qui ressemble de plus en plus au gardien de l’histoire personnelle de Hearst. Le fervent défenseur de sa mémoire continue la bataille des récits : on nous propose à dix reprises de voir un MERVEILLEUX FILM à la fin de la visite : BUILDING THE DREAM, ou l’histoire de la construction du château grâce à un Hearst, je vous le donne en mille : A DREAMER AND A ACHIEVER. Citizen Kane ou Building the dream, on vous laisse choisir !

 

Antoine et moi nous faufilons vite dans les jardins, que nous pouvons enfin arpenter en toute liberté. Les magnifiques piscines, intérieures et extérieures, me sont étrangement familières. Je finis par comprendre pourquoi : Lady Gaga y a tourné son audacieux clip G.U.Y. Images imprimées sur les rétines, qui viennent se fondre en soi. Nous nous accoudons aux rambardes d’inspiration gréco-romaines, dans le clapotis des jets des fontaines. Je demande :

« Alors, c’est à la hauteur de tes souvenirs ?

— C’est beau.

— Oui, c’est beau.

— Mais l’histoire derrière… hum… si on ne fait pas quelques recherches, et qu’on s’en tient à ce qui est dit ici, pour peu, on croirait que le mec est un saint.

— Une chose est sûre : Julia Morgan a créé un sacré truc.

— J’irai bien nager dans la piscine.

— Moi aussi, mais je me demande combien de temps il faut aux agents de sécurité pour sortir de l’eau quelqu’un qui essaye. »

Nous reprenons le bus en riant, heureux de cette visite rien que pour pouvoir en parler entre nous et faire nos propres recherches. Les yeux de l’enfance et les yeux de l’âge adulte se superposent. Faire demi-tour, revenir dans des endroits qui nous ont marqué, des années ou des décennies plus tard, est toujours source d’enseignements. Cela nous montre à quel point nous restons toujours les mêmes en étant différents.

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