Anthony, un jeune canadien de Toronto, a entrepris un long voyage durant un congé sabbatique. Nous l’intégrons immédiatement à notre petit groupe déjà soudé. Bientôt, la table est pleine à craquer, entre les sets, les plats, les bols et les sauces.
— Where are you from ? demande Jiho à Anthony.
— Canada.
Silence. Il avait oublié. Je lance un regard malicieux à Jiho, dont les lèvres tremblotent dangereusement. Fou-rire en approche.
— Quel merveilleux pays ! lancé-je joyeusement.
Ça y est, le moine éclate de rire à l’autre bout de la table. Antoine et Noëlla, qui connaissent la « théorie des 80% » du moine, peinent à rester de marbre.
— Je suis bien d’accord, répond Anthony, les Canadiens sont géniaux ! Vous vous y êtes déjà rendu ?
— Yes, répond succinctement le moine.
— Question importante, lance Christopher, avez-vous des tatouages ?
— Oui, répond innocemment Anthony, pourquoi ?
Jiho et moi échangeons un regard complice. Le Canada et les tatouages ! Voilà de quoi le bousculer un peu.
— Super, se réjouit Noëlla, on pourra aller au Onsen Tatoos ensemble, je ne serai plus seule !
Le silence s’installe, uniquement brisé par les exclamations de ravissement et le tintement des baguettes contre les plats.
— Ooooh ! s’exclame soudain Jiho. Cats ! Don’t crying anymore.
— Oui, dis-je avec fierté. À ce propos, je les ai baptisés. Il y a Frog Killer, la petite, Big Mother Issue, le gros, et Ecaille de tortue, la maman.
Jiho rit de nouveau. Il est particulièrement de bonne humeur ce soir. Cela se voit, qu’il aime cela, recevoir dans sa maison de parfaits étrangers, les intégrer à sa vie. Nous trinquons tous ensemble à ce nouveau groupe qui se forme.
— Je vais être l’ancien maintenant, plaisante Christopher, je suis là depuis deux jours !
— Oui, c’est une grande responsabilité ! Tu seras en charge d’apprendre à tout le monde. Notamment, il faut que tu perpétues les noms des chats, et leurs nouvelles habitudes alimentaires…
— J’adore les chats ! lance Anthony. Je veux bien m’en occuper, quand tu partiras.
— PARFAIT ! dis-je. Tu es officiellement Responsable Animaux Du Temple.
C’est dans la joie, les rires, la bonne humeur et quelques verres de saké que s’achève notre séjour dans le temple. Quitter notre chambre, la salle de méditation, le potager, les chats, le verger, nous fait un pincement au cœur. Antoine et moi avons tellement aimé vivre ici. Jamais nous n’aurions imaginé qu’un si bel équilibre pourrait être trouvé entre la vie en communauté et nos propres espaces d’introspection. Ce qui a fait la richesse de cette expérience, c’est sans aucun doute Jiho, un personnage à part entière qu’il a fallu apprivoiser. Entrer dans sa vie, observer, apprendre, par quelques gestes. Les actes avant tout. La retraite, le repli, n’est pas cette existence austère qu’on peut imaginer, où la privation est reine. Ce que nous avons compris, c’est que tout tournait autour des notions d’équilibre et de modération. Il n’y a pas d’opposition bien délimitée entre le mode de vie de Jiho et le monde que nous connaissons. Il écoute Shakira, va faire ses courses et apprécie son Onsen préféré, et est même capable de remettre en question certaines habitudes. Nous aussi, nous allons questionner les nôtres. En rentrant, nous voulons ramener un peu du temple avec nous.
6 commentaires
Quelle expérience incroyable ! Merci de partager cela avec nous 🙂
Merci Estelle 🙂
J’avais laissé un commentaire hier soir, mais j’ai dû oublier un détail pour l’enregistrer…Nous avons suivi au jour le jour votre itinéraire si original dans un Japon inattendu. Les photos d’Antoine ont donné un relief additionnel au récit si vivant de Samantha et on avait l’impression réelle d’être à vos côtés dans ces expériences originales.Pour ma part, j’ai aussi appris que le plus gros frelon du monde était japonais et que l’automne prolongé permettait aux araignées de continuer à garnir la végétation environnante. Cela a réveillé mes intérêts de jeunesse pour la zoologie générale!
Votre retour en France doit donc être maintenant très proche. Nous espérons que, dans les mois à venir, vous pourrez encore nous entretenir de vive voix de ces parcours si minutieusement préparés et dont la réussite nous paraît complète malgré les imprévus que vous avez rencontrés et dont vous vous êtes si bien tirés!
Bien affectueusement à tous deux,
Grand-père et Suzanne
Cher grand-père,
Merci pour ton message qui fait très plaisir ! C’est chouette de savoir que vous pouvez suivre d’aussi près nos pérégrinations – vive Internet ! Je ne manquerai pas de t’appeler à mon retour. Nous aimerions venir vous voir au printemps, avec Raphaël.
Cette série d’articles a été l’une des plus inspirante. Notamment ce sentiment d’être vraiment accueilli. C’est fou de voir la vitesse à laquelle vous vous êtes intégrés, et ce sentiment que chacun apporte sa pierre à l’édifice. Cela semble être une très belle expérience.
Merci Emily 🙂