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Samantha et Antoine

17 octobre 2019

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Instinct sauvage

Sans aucun doute, la côte Ouest des Etats-Unis est un territoire d’extrêmes et de contrastes. Après notre traversée de la Vallée de la Mort, enveloppés dans une chaleur écrasante, nous arrivons à notre prochaine étape : Mammoth Lakes. Très rapidement, les plaines arides se constellent de pins. En l’espace d’une heure, la température passe de 40 degrés à 15. Nous quittons le désert pour la montagne, où nous attend un chalet à près de 3000m d’altitude. Mammoth Lakes est une petite ville tranquille de 8000 habitants, qui tient son nom de la compagnie minière qui exploitait les ressources locales au XIXe siècle. Pour la première fois depuis deux semaines, nous ne dormons pas dans le van. Nous redécouvrons des éléments de la vie moderne que nous avions presque oublié :

 

– Une douche CHAUDE

– Le Wifi

– Des prises électriques

 

L’occasion de passer des coups de téléphone aux amis et à la famille – une connexion stable est une denrée rare sur notre parcours. Grands-parents, parents, oncles et tantes suivent avec assiduité ce même journal de bord. Cela nous réjouit de partager le voyage de cette façon, plutôt que par sms ou « groupe Whatsapp » : au revoir l’instantané, bonjour le temps de l’écriture. Cela nous permet de poser des mots précis sur cette expérience, de mûrir notre rapport au voyage. Se dire que chaque étape fera l’objet d’un article, c’est déjà penser à ce que nous allons raconter. À partager.

Bêtes sauvages

Postée à la fenêtre du châtelet, j’observe l’obscurité engloutir peu à peu les arbres et les toitures. Je demande à Antoine :

« On a bien pris toute la nourriture du van ?

— Oui.

— Tout tout tout ce qui peut sentir ?

— Mais oui !

— Et ton déo ?

— Mon déo ?

— Il paraît qu’il faut vraiment retirer tout ce qui sent.

— Pourquoi tu es nerveuse comme ça ?

— C’est un coin à ours. L’atmosphère, j’en sais rien, juste une précaution… j’ai une intuition, c’est comme ça. »

Antoine s’abstient de lever les yeux au ciel, mais je sens qu’il en a très envie. Flegmatique, il lui en faut beaucoup pour être anxieux, alors que je suis d’une nature très prudente. En particulier quand un petit quelque chose vient me picoter l’esprit, sans que je sache quoi. Une intuition. C’est très curieux, parce que nous avons dormi dans de nombreuses zones sauvages au Canada, où les populations d’ours étaient bien plus importantes, et je n’éprouvais pas ce fond d’inquiétude qui a fait son apparition ce soir.

 

Nous nous écroulons dans le lit, au milieu des couvertures, bien décidés à dormir jusqu’au petit matin. 20h, pour nous, c’est déjà très tard en ce moment ! Quelques heures plus tard – ce qui est pour notre horloge biologique le milieu de la nuit – on tambourine à la porte. Antoine et moi nous levons, encore ensommeillés, et ouvrons. Dans l’embrasure se dessine le visage paniqué d’une femme à l’épaisse chevelure rousse.

« Hi guys, sorry to bother you… »

Cette dernière est la propriétaire des lieux. Elle nous explique, sa lanterne à la main et le souffle court, que des ours ont été repérés autour des chalets. Ses chiens se comportent étrangement, elle sait ce que cela signifie. Les personnes logeant dans les environs sont priées de rapatrier tout ce qui peut « sentir » dans leurs voitures à leurs habitations : gâteaux, dentifrice, shampoing, etc. Antoine se tourne vers moi, soudain décomposé. Je me retiens de dire « JE L’AVAIS BIEN DIT » comme il s’est abstenu de lever les yeux au ciel. Il va vite vérifier dans le van s’il ne reste pas quoique ce soit qui constitue une source d’odeur attirante pour nos amis les ours. Nos mains soulèvent régulièrement un coin de rideaux, pour s’assurer qu’une silhouette massive ne serait pas sur notre palier. Grave erreur : je tape « Ours ouvre porte » sur Google et découvre des vidéos d’ours noirs parvenant à ouvrir les portes des vans pour y trouver la nourriture. En soi, c’est étrange, parce que les animaux sauvages en général ne me font pas peur. C’est ce contexte qui déclenche des alertes internes très primaires. La nuit noire, le froid mordant, la visite impromptue de cette dame aux yeux paniqués, les chiens qui émettent des aboiements d’alerte. La cerise sur le gâteau : mes recherches sur Internet de tous les faits divers – rarissimes, mais quand même, c’est arrivé – qui finissent par me plonger dans une inquiétude sourde. Antoine a des fou-rires en découvrant mon reportage Instagram sur « tout ce qu’il faut savoir sur les ours » – oui, quand je suis anxieuse, je me renseigne ! De manière générale, il est intéressant de constater que nos expériences de camping dans des endroits reculés réveillent en moi des réflexes insoupçonnés. Quand on connaît la faune, qu’on identifie les bruits, alors le corps fait abstraction. C’est le cas pour les coyotes : les hurlements la première nuit me tenaient aux aguets, alors qu’ensuite, ces sons ce sont complètement intégrés à mon environnement. Pour Antoine, encore une fois, c’est totalement autre chose : dix mygales pourraient se promener sur son torse pendant la nuit, il ne tressaillirait pas. Finalement, nous retournons nous coucher. Le lendemain matin, nous apprendrons que nos amis les ours étaient bien là autour du chalet, et que l’un des chiens de la propriétaire a été grièvement blessé en tentant de les éloigner.

Marcher

La lumière dorée du jour chasse les peurs primaires nocturnes. Nous décidons d’aller faire une longue randonnée près des lacs, dans les hauteurs de Mammoth Lakes. L’occasion d’improviser un pique-nique au bord de l’eau – salade melon, feta et concombres, notre recette fétiche depuis un restaurant en Italie. Autour de nous, la palette chromatique a diamétralement changé : nous retrouvons les verts tendres et les bleus soutenus. Sur notre chemin, nous croisons de nombreux arbres coupés, couchés sous la cime de leurs congénères. Les troncs secs ont été dépecés de leurs écorces protectrices, découvrant une surface lisse et nue qui semble gravée de symboles d’une civilisation ancienne. Les traces laissées par leur ancienne peau pleine de reliefs. La beauté vient se glisser dans des détails inattendus, que l’on ne remarque qu’après une longue observation. Durant cette promenade, nous prenons le temps. Faire des haltes pour regarder des écureuils jouer dans les branchages. Méditer depuis le haut d’une falaise, alors que les lacs s’étendent en contrebas. Suivre une piste imaginaire formée par des brindilles. Il y a tellement d’histoires muettes autour de nous.

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