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Montréal

Samantha et Antoine

01 septembre 2019

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Montréal

Un vol un peu en retard, mais pas trop. Inévitable torticolis d’un sommeil fractionné et contorsionné. Le passeport que l’on tend encore et encore, les épaules lourds des sacs – l’essentiel, ça fait quand même 10kg. Nicolas, le frère par alliance d’Antoine, nous attend dans le hall, le sourire aux lèvres. Portes de voiture qui claquent, et nous voilà lancés sur la route, prêts à découvrir sa toute nouvelle vie de l’autre côté de l’Atlantique. Ce n’était pas prévu, mais c’est si agréable, d’être attendu à l’aéroport. Ce moment où l’on franchit les derniers portiques, et que nos regards scannent tous ces visages tendus à la recherche de la personne qui nous attend. Immédiatement, le sentiment d’être accueilli vient se loger en nous. Nous sommes en voyage, en déplacement, tout commence, et tout commence dans la joie des retrouvailles.

 

Nous voilà dans une colocation de six mecs passionnés de festivals, avachis sur un matelas chargé de coussins. Il y a un chien qui s’étend sur le parquet devant notre porte, et ça, cela achève le sentiment d’être à la maison. Dans cette coloc, Nicolas est le seul français : tous sont québécois. Aux murs, les posters d’Illusion, le festival qu’il organise. Il n’y a pas à dire, en quelques années, il a construit.

Décalage

Le corps est à Montréal mais notre horloge interne encore en France. Remonter le temps, ce n’est pas rien. Poétiquement, une histoire d’âme qui met le temps à faire la traversée de l’Atlantique, pour que nous soyons complètement en phase avec l’endroit où nous sommes. Réveillé à l’aube, donc, mais tant mieux : Antoine a envie de prendre des photos. Il me dit, alors qu’on ferme nos sacs : « On va chasser les lumières ». C’est vrai, ça, tiens, et pas n’importe lesquelles : les aurores. Pas les aurores boréales, mais les aurores tout court. Et c’est curieux, comme la vie et la littérature s’entrelacent sans cesse. Ce que l’on écrit aussi, ces histoires nées d’une pulsion, d’une image, qui retrouvent leur place dans nos existences, parce qu’évidemment, évidemment, ces livres que l’on créé sont nos existences, altérées, poétisées, voilées, transformées. Le matériau de l’écriture est tout autour de nous.

Rencontres

On explore, on marche, on déambule. Pas de programme, rien de pressé. Nous savons quand et combien de temps nous restons à un endroit, mais pas ce que l’on va y faire. Il n’y a qu’un seul impératif, prévu depuis un moment : rencontrer l’UNEQ, l’Union des écrivains et écrivaines québécoises. C’est la transition parfaite, finalement, Montréal. Nous sommes encore dans le tumulte de la ville, le rôle de présidente de la Ligue des auteurs professionnels toujours là comme un fantôme, mais déjà, il y a autre chose. Nous déambulons dans le Vieux-Montréal, marchons plusieurs heures au gré des rues, des commerces et des boutiques, jusqu’à la Maison des écrivains. Sublime bâtisse aux marches peintes en bleu, dans une rue où l’on s’arrête devant chaque porte et chaque jardinet. Cette rencontre avec Suzanne Aubry et son équipe est un délice. Il y a des personnes, comme ça, vous sentez en une fraction de seconde leurs convictions profondes, leurs énergies. Alors nous parlons durant des heures de la situation des auteurs et autrices au Québec et en France, de ce qui nous sépare mais surtout de ce qui nous rapproche, en dépit des différences légales entre les deux pays. Antoine filme, documente, témoin comme il l’est depuis plusieurs années des coulisses de cette quête pour plus d’équilibre et de justice pour les individus qui créent.

Exploration

Après cette rencontre pleine de lumière, nous marchons, encore et encore, en discutant, en s’arrêtant dans un café qui nous tend les bras, sans autre recherche que celle des lumières. Parce qu’il y a un coucher de soleil qu’on ne voudrait pas manquer, depuis la vue panoramique du Mont Royal. Alors on gravi les marches, le sac plein de matériel sur le dos (il en faut, oui, des choses, pour attraper des lumières), jusqu’à cette esplanade où se massent des personnes venues faire exactement la même chose : un selfie avec Montréal aux pieds. Et nous faisons comme tout le monde, étrange réflexe humain, qui est de vouloir imprimer avoir été là, à cet endroit.

 

Le Mont Royal, ce sont de jolis sentiers de forêts, une myriade de points lumineux qui naissent les uns après les autres à l’horizon, et des ratons laveurs qui font les poubelles. La fatigue commence à nous rattraper, mais non, pas tout de suite, la soirée ne fait que commencer ! Il est l’heure de dîner avec Nicolas et l’un de ses colocataires. Nicolas a choisi le restaurant : excellent choix, on dévore des rouleaux de printemps arrosés de cocktails en parlant de tout et de rien.

Le charme

Le lendemain matin, au milieu des coussins, l’âme se réveille à l’heure française. Il est 5h du matin ici. Rien à faire, impossible de se rendormir, alors on se connecte. Réseaux sociaux, traitement des photos, rédaction d’articles, premiers tris des rushs… oui, cette parenthèse, on a décidé de la raconter, et ça prend du temps, de raconter. Comment vivre un tel voyage sans que le récit que l’on présente au monde prenne trop de place en comparaison de celui que l’on vit ? C’est une véritable question. Mettez entre les mains de l’être humain la capacité de tout mémoriser, capter, garder, et il va s’en emparer, c’est certain. Le fantasme ultime, celui qui balaye Méduse, celui qui suspend la mort : la capacité de se souvenir ailleurs que dans son propre esprit.

Et c’est reparti pour les flâneries dans Montréal. Les devantures colorées, les murs en briques transformés en œuvres d’art, cette végétation luxuriante en bas d’escaliers enroulés. Alexis, un ami rencontré chez Ubisoft, choisit une bonne adresse pour un brunch. On se connaît depuis 7 ans – déjà ! Le voilà parti de France depuis 3 ans, comme tellement de personnes que j’ai connu chez Ubisoft. Très souvent, d’ailleurs, ceux qui partent restent. Je comprends pourquoi, tout en marchant dans ces rues. Le temps a passé, et pourtant, Ubi n’est jamais loin : qu’est-ce que j’aurais rencontré comme personnes passionnantes là-bas ! On parle de l’avenir du jeu vidéo, de la révolution numérique, des mutations des plateformes, des questions existentielles sur la vocation du gameplay… Un léger accent s’est glissé dans les intonations d’Alexis, son timbre de voix a changé. On est modelé par les endroits où nous vivons, c’est certain. Il nous dit : « c’est une ville charmante ». Le mot est bien choisi, c’est cela, Montréal a du charme. Mais Alexis ajoute : « Attention, ce que tu vois de la ville, c’est comme un premier date avec quelqu’un : ses meilleurs atouts. Cette période ensoleillée, la végétation, tout ça, à partir d’octobre, c’est fini, parce que jusqu’en mai : c’est l’hiver. »

Retour à l’appartement pour faire nos bagages. Quelques jours plus tôt, j’ai reçu un message d’une autrice québécoise, Dominique, qui suit la chaîne Youtube. Voyant que je serai à Montréal, elle m’a proposée de façon complètement spontanée de nous héberger dans son appartement. Nous avons commencé à échanger, et je me suis dit « Pourquoi pas ? ». Après tout, nous n’avons aucun impératif. C’est l’occasion, ce voyage, de s’ouvrir aux autres, de laisser l’imprévu tracer son chemin.

L'imprévu

Alors nous voilà, nos sacs sur le dos, à l’autre bout du Montréal, pour rencontrer une inconnue et dormir chez elle. Petit tour du propriétaire, et l’émotion monte. « Bon, je sais que tu aimes le thé, dit Dominique, tu en trouveras dans ce tiroir »… et au gré des discussions, Antoine et moi comprenons qu’en fait, quelque part, à travers les réseaux sociaux, mes livres et la chaîne Youtube, on se connaît, d’une certaine façon. Elle est autrice, alors forcément, nous avons un million de choses à nous dire, sur le métier, sur l’écriture, sur les choix de vie. Il y a dans son enthousiasme une bienveillance qui infuse tout l’espace. Nous passons tous les quatre, avec son mari, un dîner délicieux où les conversations sont si naturelles et apaisantes. « Cette une façon de te rendre ce que tu donnes à travers tes conseils », dit Dominique. Ça me bouleverse. Ça fait du bien, de s’ouvrir ainsi à l’autre, spontanément, au gré d’un fil géographique. Il y a ici comme un boomerang qui revient : on ne laisse pas nos vies derrière nous en fait, pas du tout. Elles sont devant nous : dans cette déambulation, il y a une capacité à la rencontre qui n’enlève rien de tout ce que l’on a avec soi. Au contraire, ça nous rattrape.

 

Avec Antoine, on apprécie le silence de cet appartement, la majestueux lever de soleil sur ce roof-top comme on en voit dans les films. C’est improbable, d’être ici, tous les deux, et c’est bien. Le besoin d’écrire éclot devant cette vue. Parce que ça y est, la frénésie des promenades et des rencontres retombe. Merci, Dominique, c’est dans ton appartement d’écrivain que j’aurais rédigé ce premier article.

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